Un lourd secret
Dans ce billet, je souhaiterais vous faire part d'un secret. Un lourd secret
parce qu'il porte à lui tout seul le nerf d'une de mes plus grande
souffrance. Je l'ai porté de nombreuses années (16 ans pour être
exact). Aujourd'hui, c'est pour décharger mon coeur blessé par le vide
que je vous le livre, non sans mal et vous allez comprendre pourquoi -
je l'espère.
C'est avec honte et chagrin que je l'avais enfui au fond de moi
sachant qu'un jour, lorsque j'aurais accepté la douleur de sa
symbolique et que je serais prête, je le livrerais à des oreilles
attentives, auprès de personnes de confiance.
J'allais avoir neuf ans lorsque mon grand-père mourût. C'était en juillet 1986, la première fois que j'étais confrontée à la mort d'un
proche. Je me souviens de ma mère pleurant à chaudes larmes et de mon
cœur de petite fille impuissante se serrer très fort dans la poitrine.
Ses cris d'enfant me faisaient mal, résonnaient en moi comme une
sirène d'alarme, un appel au secours, un déchirement.
Mais là où ce fut encore plus difficile, ce sont les mois qui ont
suivi – pour ne pas dire les années. En quelques mois, ma mère changea
complètement : elle pleurait tout le temps, se grattait les jambes
jusqu'à sang, piquait de grosses crises sans raison, se roulait par
terre en hurlant son chagrin, partait deux fois par semaine chez son
psychiatre nous laissant nous occuper du repas, prenait des médicaments
sans retenue pour endormir ses maux et menait une vie qui se dirigeait
droit vers une grave dépression nerveuse. Il est bien clair que cette
dépression était latente et que le déclencheur fut le décès de son
père. A partir de là, le temps s'est figé pour elle, elle n'était plus
que l'ombre d'elle-même, se trainant la journée. Mon frère et moi (nous
n'étions que deux à l'époque)étions complètement délaissés, livrés à
nous-mêmes de plus en plus, à assumer des rôles auquels nous n'étions
pas préparés. Mon père était absent, pas même une présence, devenu un
concept vide de signification et surtout d'affection. Il n'était là que
pour les règlements de compte. Il s'était amouraché de son travail, de
sa vie à l'extérieure, cette vie qu'il ne nous faisait nullement
partagée. C'était sa façon de fuir la difficile réalité dans laquelle
nous baignions depuis plusieurs mois maintenant.
L'école était devenue un échappatoir, où j'arrivais à fermer la
porte de chez moi, comme si je vivais deux vies parrallèles : la dure à
la maison qui m'attendait chaque soir avec son lot de mauvaises
surprises : injures, coups, brimades et surtout inattention...et celle
de l'école où je pouvais encore jouer à la petite fille, où mon esprit
pouvait encore rêver et être surpris par les petits bonheurs de
l'insouciance, où mon imaginaire pouvait avoir libre cours afin de
pouvoir continuer à entretenir l'espoir que mon enfance nourrirait ma
future vie d'adulte dans les moments difficiles. A tout prix, je
voulais préserver ça car je sentais combien c'était bon de ne pas
grandir trop vite, malgré moi.
Janvier 87 : je ne supporte plus d'être livrée à moi-même. A
l'école et plus particulièrement dans ma e, c'est la troisième
crise d'appendice qui avait lieu. Sans attendre, j'avais sauté sur
l'occasion pour simuler un mal au ventre. Je rentrais le soir, me
plaignait en continu - espérant arraché un regard, une bribe
d'attention - disais avoir de violentes douleurs côté droit en bas du
ventre. Très vite, on conclut à l'appendice (comme si l'appendice
pouvait provoquer des épidémies). Quelques jours après mon but était atteint : on allait m'opérer et
enfin s'occuper de moi, me choyer, faire attention à moi, à ce que je
suis et devient, à mon existence. Bien entendu, j'ai toujours su que je
n'avais aucun problème physique que ce soit l'appendice ou autre, juste
un gros problème de carence affective.
Après toutes ces années, j'ai établi le lien d'avec mon grand-père
: seule personne à avoir été opérée de l'appendice dans ma famille.
J'avais donc inconsciemment « cherché » un point commun avec mon
grand-père qui aurait pu me relier à ma mère, elle qui l'aimait tant,
qui le vénérait tant, qui était morte de chagrin pour lui. A mon tour,
j'aurais aimé « être à la hauteur » de son amour, en vain. A présent,
je sais que ma mère s'est éteinte avec lui et comme nous tous, je sais
qu'on ne fait pas revenir les morts parmi les vivants...